Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

cinebaudelaire.overblog.com

Blog des élèves de cinéma du lycée Baudelaire de Cran-Gevrier


Club Zéro

Publié par les élèves du lycée Baudelaire sur 29 Mai 2023, 17:48pm

Glaçante de réalisme, la fiction tragique de Jessica Hausner qui va vous couper l’appétit.

L’histoire se déroule dans un lycée privé très élitiste, où l’arrivée d’une nouvelle professeure aux méthodes très innovatrices, Miss Novak, va chambouler le destin de 5 de ses élèves. Dès la scène d’exposition, plusieurs choix provoquent un désagréable sentiment de dérangement au spectateur : en légère plongée, plusieurs élèves, seuls, installent en silence total, sans parler, des chaises en rond. Les couleurs, qui ne sont pas sans me rappeler les tons d’un hôpital, avec du vert sur les murs et le jaune des uniformes, jouent également à créer cette atmosphère étrange et perturbante. L’originalité des plans, avec ce cadrage utilisant le zoom suivi du dé-zoom constamment pendant ce long-métrage, m’ont fait sortir de ma zone de confort dès les premières minutes. Ces zoom/dé-zoom créent une sensation d’enfermement, d’oppressement, qui ne sont pas sans m’évoquer les travellings compensés d’Alfred Hitchcock. Plusieurs scènes s’enchainent aussi sans transition, de manière brutale, et cette particularité de montage est ingénieuse car elle colle à la trame de l’histoire, tordue et tranchante. Le casting est vraiment réussi, avec la terrible Mia Wasikoswska dans le rôle de Miss Novak et les 5 adolescents (Gwen Currant, Samuel D. Anderson, Florence Baker, Ksenia Devriendt, Luke Barker), chacun de leurs personnages ayant été vraiment bien développés par le scénario. L’endoctrinement se fait crescendo, au début simple cours d’alimentation consciente puis véritable secte du club zéro, où les liens qui relient les participants à Miss Novak se font vitaux. Les scènes dans le rond de parole de miss Novak, pendant son cours, où le spectateur se retrouve au milieu du cercle, entrainé par le mouvement de caméra panoramique passant d’un élève à l’autre, donne le tournis, et, encore une fois, une sensation plutôt dérangeante. Les premières scènes où les élèves ne mangent vraiment plus ou des quantités minimes sont géniales dans leur réalisation : je pense notamment au plan sur une potatoes, seule au milieu de l’énorme plateau repas, ridicule qui fait rire, absurdité accentuée par la musique, coup de tambour au moment du dé-zoom, ici pas progressif -contrairement à la plupart des plans- mais brutal saut en arrière qui montre à quel point cette nourriture est minuscule par rapport à son contenant. Le choix de cette musique rudimentaire, tambour, voix humaines (et à quelques passages, cordes et flutes) nous rappelle évidemment l’ambiance sectaire, presque retour à l’âge de pierre. Cependant, certains instruments à cordes utilisés m’évoquent également le ridicule avec des vibrations très exagérées, résonnant un long moment. Le travail sur le maquillage est également à saluer : au fur et à mesure du film, la maigreur et la maladie se font croissantes sur les visages des adolescents, avec des joues creusées, le teint jaune, verdi, bleuté, et également les cernes de plus en plus foncés. Les scènes de tentatives de dialogue parents/enfants (et j’utilise « tentatives » puisque les personnages ne parviennent à aucun moment à réellement se comprendre) sont intéressantes car elles soulèvent le thème de la difficulté ou l’impossibilité à communiquer au sein de la cellule familiale. Les dialogues me rappellent ceux de la pièce de théâtre « Juste la fin du monde », où la crise familiale se déroule notamment au cours des repas. Pendant les repas de famille, les 5 jeunes semblent tenter de jouer leur rôle d’enfant attendu, mais sans succès et la conclusion de ces moments est toujours l’incompréhension. La touche d’humour (noir ?) de la réalisatrice Jessica Hausner est très efficace, comme dans la scène où Elsa va aller jusqu’à se faire vomir et manger son vomi pour prouver à ses parents que son esprit peut être maître de la réalité, avant d’ajouter que si elle le souhaite, il pleuvra. Suite à cela, un gros plan sur la pluie puis la réaction de ses parents à coup de longs soupirs sont géniaux. Le spectateur voit la scène du vomi comme l’apogée de l’endoctrinement, mais ce n’est pas le cas, et la manipulation va encore plus loin avec la dernière réunion de la secte, sorte de cérémonie de passation dans le fameux club zéro, tous munis de badges à son effigie, où ils vont finalement tous se donner la mort. Le message derrière ces jeunes qui contrôlent leur corps dénonce la source des TCA (Troubles du Comportement Alimentaire, comme ici l’anorexie, c’est-à-dire la perte intentionnelle de poids) souvent provoqués par l’entourage. L’endoctrinement de Miss Novak n’est pour moi qu’un reflet des réels extrêmes qui sont créés par la société dans laquelle nous vivons, tout spécialement chez les jeunes, en réponse à l’éco-anxiété par exemple. Et c’est la proximité de l’horreur visible dans ce long-métrage qui la rend si terrifiante.

Yvonne Lupovici

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents