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Blog des élèves de cinéma du lycée Baudelaire de Cran-Gevrier


Pikadero

Publié par Les élèves du lycée Baudelaire sur 16 Octobre 2016, 09:46am

Pikadero
Pikadero

L'expérience cinématographique la plus génialement et artistiquement ennuyante ! Voilà qui définit bien Pikadero, la fiction de Ben Sharrock, sortie en 2015. Pour la première fois de votre vie, vous allez apprécier un film qui vous ennuie.

Pikadero est l'exact opposé du blockbuster bourré d'actions, d'explosions et d'effets visuels à couper le souffle. Non, Pikadero n'est pas un film comme on en voit souvent au cinéma, il est unique en son genre.

Tout d'abord, son scénario est linéaire et se résume en quelques lignes : Gorka (Joseba Usabiaga) est un trentenaire basque qui vit toujours chez ses parents. Subissant la crise d'Espagne, il se satisfait de son emploi en CDD dans une usine d'outils. Sa petite amie, Ane (Barbara Goenaga), et son collègue, Iñaki (Lander Otaola), sont dans la même situation que lui ; eux, cependant, décident de se prendre en main. Point final.

Essayons de comprendre pourquoi Ben Sharrock prend le risque d'un scénario aussi faible. Pour commencer, le film traite de l'actuelle crise en Espagne et de ses répercussions (précarité du travail, impossibilité de trouver un logement, frustration ...) , avec l'exemple du Pays-Basque. Le réalisateur se pose alors une question : « Qu'est-ce que la vie dans un pays où l'on n'a nulle part où aller, où l'on ne peut rien faire d'autre qu'attendre le lendemain, où l'on ne peut même pas trouver un endroit intime avec sa petite amie ? ». La réponse est donnée dans le film : soit on ne fait rien, on ne bouge pas, on est figé, soit on se prend en main et on tente de trouver une vie meilleure. Le personnage de Gorka opte pour la première voie. Ainsi, Ben Sharrock a fait en sorte que, en tant que spectateur, nous ressentions exactement ce que Gorka ressent : l'ennui, le vide, la stagnation. Il a mis en œuvre une remarquable technique de cadrage en adéquation avec le personnage : il enchaîne plans fixes sur plans fixes dans des décors que l'on retrouve tout le long du film. Chaque lieu a été choisi pour correspondre à des critères précis. Ainsi, on retrouve des décors parfaitement symétriques, qui permettent d'opposer deux personnages (Gorka et Inaki à l'usine) ou de renvoyer un personnage à lui-même (Gorka et un chien qui refuse d'avancer). Le film est une succession de tableaux à l'image des peintres Hooper et Shaw, qui utilisaient fortement la symétrie et une colorimétrie particulière : des couleurs uniformes et surtout du bleu. Les scènes à la gare en sont sans doute les meilleurs exemples. La gare est le point central du film. Entre chaque scène, il y a toujours quelques plans à la gare. Elle est toujours filmée du même point de vue, de l'autre côté du quai, afin de créer une symétrie dont l'axe coupe le banc des personnages en deux. Elle permet de voir l'évolution des personnages dans le film. Ainsi, on comprend l'écart de mentalité de Gorka et Ane assis à gauche et à droite du banc de la gare, où on compare Gorka avec un chien (représentant Gorka) qu'un garçon (représentant Ane) essaie en vain de faire avancer.

Outre l'originalité de cette cinématographie, la performance des acteurs principaux correspond tout à fait à l'atmosphère générale. L'acteur Joseba Usabiaga montre la lenteur et l'absence d'évolution de Gorka par ses yeux vides et inexpressifs, ses répliques simples, lentes, telles que « oui », « non », « je ne sais pas ». Par contraste, Barbara Goenaga fait de Ane un personnage plus réactif, plus expressif. Le jeu des acteurs révèle l'intériorité des personnages: l'un restant fidèle au passé, l'autre essayant de construire son avenir. Cela étant, le réalisateur ose des touches d'humour qui surprennent par leur décalage avec la morne atmosphère du film et réveillent le spectateur. La scène de la partie de rugby dans laquelle sont filmés les spectateurs qui tournent la tête de gauche à droite pour suivre le match est particulièrement amusante. C'est cet humour qui nous permet d'ailleurs de ne pas sortir de la salle. Car l'expérience que nous impose le réalisateur de partager pendant près d'une heure et demie le désœuvrement de Gorka peut devenir insupportable.

Ben Sharrock ne fait pas un cinéma de divertissement : il nous propose d'entrer dans la conscience de tous les Gorka victimes des crises socio-économiques. C'est loin d'être confortable, tout dépend de votre conception du cinéma !

Julien Ribiollet

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