Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

cinebaudelaire.overblog.com

Blog des élèves de cinéma du lycée Baudelaire de Cran-Gevrier


Léon, ou comment trouver les parfaites notes et accords pour faire sonner une relation entre un tueur en série et une jeune fille new-yorkaise si juste.

Publié par Paul LARDET sur 14 Mars 2021, 18:51pm

Catégories : #Action, #Action-Philosophie, #Drame, #émouvant, #romance

Leon the professionnal, Luc Besson, 1994, Jean Reno, Nathalie Portman, Éric Serra. C’est tout ce qu’on devrait dévoiler à un·e cinéphile qui n’a pas encore eu l’opportunité de voir ce chef d’œuvre. Je conseille vivement aux friands de cinéma d’arrêter leur lecture ici, et de la reprendre après avoir vu le film ; je leur conseille d’avoir la soif de consacrer deux heures à un tueur en série et une fillette insolites, et de lire cette critique ultérieurement, en ayant leur propre interprétation du film.

 

Mathilda, jeune fille New-Yorkaise échappe au massacre de sa famille grâce au personnage éponyme du film, Léon - magnifiquement incarné par Jean Reno ; ou alors Léon, « nettoyeur » en série, fait la rencontre de son équivalent féminin, qui le ramène à la vie. Difficile de résumer un film dont les multiples interprétations sont envisageables, un long-métrage qui a lui-même du mal à prendre des partis. Léon et Mathilda : Luc Besson nous donne accès à une forme d’amour bien particulière, extrêmement poétique, qui puise ses ressources dans le décalage et la sincérité tout comme le rire et les larmes. Les premières séquences nous laissent à penser qu’on a affaire à un thriller américain typique à gros budget. En effet, on peut notamment penser au générique qui dévoile progressivement la ville de New York et le titre « LEON », en lettres majuscules, blanches, une légère ombre portée les mettant en surbrillance, jusqu’à pénétrer dans un restaurant de « Little Italy » et à plonger dans le noir. Un noir presque silencieux, qui aboutit sur des plans très rapprochés et menaçants du personnage principal, d’abord ses mains autour d’un verre, puis le reflet du cadre dans ses lunettes, enfin son interlocuteur et un dialogue. Des plans très rapprochés sur des éléments du visage, sur la photo de l’homme à tuer, une lumière sombre et des couleurs ternes, puis des jeux de plongée/contre-plongée et champ/contre-champ, des personnages en amorce, peu de dialogues, de la drogue, des ombres, des armes, des prises d’otages, du sang et du suspense : tous les éléments caractéristiques d’un thriller sont réunis dans ce début de film in medias res. Voilà Léon, le « professionnel ». Or, après de telles présentations, le spectateur est surpris lorsqu’il entend une musique douce, à la guitare, et qu’il voit le tueur en série prendre soin d’une plante, utiliser le fer à repasser, puis s’installer dans un fauteuil à côté d’un portrait de la Vierge ; tout ce qu’on ne montre pas, ou plutôt tout ce qu’il ne faut pas montrer au spectateur pour crédibiliser un tel personnage ! On le verra plus tard sortir le soir pour assister à une comédie musicale, ou encore faire parler une manique ressemblant à un cochon… Aucun tueur en série ne serait dépeint comme tel. Léon, si. Un contraste manifeste et inattendu (re)définit le personnage et renverse l’image entière du film. Voici ce qui fait la singularité de ce personnage, dur en apparence mais qui cache une grande sensibilité inattendue de la part d’un « nettoyeur », singulier à un tel point qu’il donne son nom au long-métrage.

 

Malgré une présence déjà puissante du personnage de Léon, le film ne serait rien sans Mathilda, ou plus précisément, le film ne serait rien sans que son rôle soit figuré par Nathalie Portman. Cette actrice fait sa première apparition à l’écran alors âgée de douze ans (tout comme son personnage qui prétend en avoir dix-huit), apparition tout à fait magistrale et de plus révélatrice pour l’actrice qui poursuit aujourd’hui encore sa carrière dans le cinéma. Mathilda est psychologiquement très forte ; malgré les passages obligés par beaucoup d’émotions, ce qui la rend encore plus attachante au spectateur, elle n’est pas intimidée par les armes cachées dans la valise de Léon, et sait insister et convaincre quand il le faut (à l’hôtel par exemple, sachant que son « père » ne sait pas écrire, elle insiste pour remplir le formulaire à sa place, prétendant aimer le faire). D’abord installée avec son père, son frère et sa belle-mère ainsi que sa fille, elle suit Léon après leur massacre. La cohabitation est tout d’abord difficilement envisageable, Léon devant prendre soin d’une nouvelle plante. Un plan-séquence très intéressant fait comprendre d’une façon à la fois efficace et délicate que Léon accepte finalement de la prendre sous son aile : le plan fixe est cadré au sommet d’une rue abrupte de New-York. On ne voit tout d’abord que la circulation, puis un visage fait surface, apparaît dans le plan, celui de Léon qui arpente la rue. À partir de ce moment, on ne peut s’empêcher de se demander si Mathilda l’accompagne, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elle marche à côté de lui, sa plante sous un bras, d’où le fait qu’il soit efficace. Ce plan est un bon exemple du cinéma de Luc Besson, finement médité, mais aussi un élément qui se rapporte à l’entièreté du film : les images parlent, remplaçant alors les mots que Léon ne peut pas lire et que Mathilda pourrait lui adresser.

Ce manque de mots et de connaissances dont témoigne Léon est finalement comblé par les échanges avec Mathilda, notamment pendant le seul et unique « jeu » auquel les deux personnages jouent et dans lequel il faut deviner quelle personnalité l’un et l’autre imitent, Léon n’en trouvant qu’un seul. La tête dans le guidon, notre tueur semble avoir été trop familier avec la mort, au point de ne plus voir son entourage, voire même d’avoir été détaché de la vie…

 

En plus de son attachement pour Léon, Mathilda a l’intention de devenir « nettoyeuse » grâce à ce premier car il ne faut pas l’oublier, le but de Mathilda reste de venger son frère et tuer ses ennemis, à ses risques et périls. Le premier entraînement prend place sur le toit de l’immeuble qui abrite leur chambre d’hôtel ; c’est un premier tir (sans munitions) pour la fillette, et une réussite. Peut-être ses demandes fréquentes de « leçon » pour apprendre à devenir « comme (lui) » compensent-elles son manque d’éducation que le film soulève plusieurs fois (au tout début quand son père lui donne une gifle en lui ordonnant de se remettre à ses devoirs, peu de temps après lorsque l’école avertit qu’elle ne vient plus (avertissement auquel elle répond : « Elle est morte »), et finalement dans la bouche de Tony à la fin). Les deux acolytes adoptent alors à la fois la posture de professeurs et d’élèves ; tous deux privés d’une éducation scolaire solide, ils apprennent finalement l’un de l’autre et complètent leurs lacunes, nourrissent leurs « racines » (si on file la métaphore développée par Mathilda).

« Si tu l’aimes vraiment, tu devrais la planter au milieu du parc de la ville de sorte à ce qu’elle ait des racines » : Mathilda le conseille ainsi. Le contexte dans lequel cette phrase est prononcée indique qu’il d’agit de la plante que Léon entretient « parce que c’est sa meilleure amie », mais ne parle-t-elle pas aussi d’elle-même ?

 

À quoi ressemblerait alors l’ennemi d’un tueur en série sensible ? À Personne d’autre que Stansfield, ce chef de police psychopathe interprété par Gary Oldman, qui est à l’origine du massacre de la famille de Mathilda. Un ennemi commun à cette dernière et à son protecteur, un ennemi des plus coriaces et dangereux puisqu’il a un pouvoir dont il abuse mais qui reste légal. C’est finalement lui le vrai tueur en série, vers lequel devraient converger les enquêtes et revanches. Le sang-froid de Mathilda est plus fort que tout, surtout quand il s’agit de se venger : son infiltration chez la police pour traquer et tuer Stansfield en est une preuve extrêmement audacieuse et éprouvante, qui finira malheureusement mal puisqu’elle va déclencher le combat de la police contre Léon et aboutir à une fin tragique.

 

Le film bénéficie d’une grandiose distribution, un énorme atout du film, tout comme la musique d’Éric Serra qui participe elle aussi à son romantisme. Nombreux sont les enseignements qu’on peut en tirer. Un film dont les « racines » sont innombrables. Le générique de fin défile sur le fond de « Shape of my heart » du groupe Sting, un choix éminemment porteur de sens puisque cette chanson résume à la fois l’abondance de formes d’amour que contient le film et la difficulté de lui donner la forme qu’on souhaite. À mes yeux de cinévore, il faut avoir vu ce film pour pouvoir juger le cinéma de l’action, du drame et celui de Luc Besson (également réalisateur du Grand Bleu), mais aussi pour découvrir les palettes d’interprétation de ces deux acteurs, notamment celle de Nathalie Portman, qui est absolument remarquable dans ce film. On pourrait également s’interroger sur la façon dont Sylvie Verheyde exploite les ressources de l’amour dans son film autobiographique Stella, mettant également une jeune fille en scène (la représentant) confrontée à tous types d’amour.

 

Cliquez ici pour visionner la bande annonce de Léon

Paul LARDET

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents