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Blog des élèves de cinéma du lycée Baudelaire de Cran-Gevrier


La femme de Tchaïkovski : la quête obsessionnelle d’une chimère

Publié par les élèves du lycée Baudelaire sur 27 Mai 2022, 09:48am

La femme de Tchaïkovski : la quête obsessionnelle d’une chimère
« Etrangement, les Russes ne connaissent rien de la vraie vie de Tchaïkovski, par manque de curiosité ou parce qu’ils croient aux clichés. Je voulais le montrer pour la première fois comme un être humain, ressentant de la douleur, de la colère. »  Kirill Serebrennikov, Le monde, 2022.

                Jeune fille d’un milieu modeste, Antonina Milioukova (Alyona Mikhailova) tombe amoureuse du grand Tchaïkovski (Odin Biron) lors d’un salon mondain. Guidée par ses sentiments elle s’inscrit aussitôt dans le conservatoire où il enseigne pour tenter de l’approcher. Rapidement sa passion grandit jusqu’à devenir obsessionnelle. Elle finit par lui déclarer une flamme passionnée et réclame de devenir sa femme menaçant de suicider en cas de refus. D’abord apeuré, le grand compositeur décide finalement de la prendre pour femme pour cacher un secret condamné par la société de l’époque. Un mariage de pure convention sociale et dépourvu d’amour dans lequel, aveuglé par sa foi et son amour, s’engage la jeune bourgeoise.

                La femme de Tchaïkovski (Tchaïkovsky’s wife) de Kirill Serebrennikov nous livre l’histoire d’une relation des plus étrange sous l’augure empoisonné de la rancœur, de l’indifférence et de la cruauté. Un film terriblement amer puisqu’il ne néglige ni le bourreau ni la victime. Le couple est figé dans le mal être hérité de leur première rencontre qui s’exacerbe jusqu’à les mener l’une à l’asile l’autre à la mort par le choléra, épuisé par ce spectre amoureux. Le film met en scène un drame intime, celui de Antonina qui refuse d’admettre que l’amour inconditionnel qu’elle porte à son mari n’est pas réciproque. Un désir puissant que rien ne peut contrarier et soutenu par un aveuglement profond et une foi dévote. Une hantise qui l’obsède illustrée par les dernières scènes dans l’appartement du couple, sobre et fade, hanté justement par Antonina qui semble chercher une ultime justification dans sa folie. Elle se raccroche désespérément à l’espoir d’un amour de son mari pour elle symbolisé à la fois par le piano et par l’alliance (un mot qui sonne étrangement dans cette histoire). Deux éléments qui sont finalement perdus, le premier emporté à la demande du mari lui-même et l’autre laissée aux flammes dans la scène de l’incendie de l’appartement. Une scène marquée par la chute du haut de la fenêtre pour échapper aux flammes. Une chute au ralenti non seulement physique mais aussi mentale. Un plongeon dans la folie qui achève de dessiner le personnage avec les deux autres scènes décalées qui offrent des tableaux à la fois burlesques et tragiques. Les six hommes nus engagés par un ami du compositeur pour séduire sa femme et le rêve post mortem d’une séance photographique hivernale en famille avec des angelots.

                La temporalité est également à souligner car elle semble renforcer l’aspect obsessionnel et irraisonné de l’amour de la jeune bourgeoise. Les transitions temporelles sont en effet réalisées sans coupure de l’image (un effet visuel particulièrement esthétique d’ailleurs) permettant ainsi au spectateur de se focaliser sur l’obsession du personnage qui n’apparaît comme jamais distraite de sa hantise. Ensuite, l’incipit qui ouvre le film sur les funérailles du compositeur ressuscitant seulement pour annoncer à sa femme qu’il la hait avant le retour en arrière qui constitue le film, semble être comme une projection tragique qui poursuit le spectateur durant le reste du film, ce dernier comprenant peu à peu que cette scène, qui à première vue se rapproche de l’irréel par sa dominante blanche et la marche funèbre qui mène Antonina au lit de mort de son mari, n’est autre que la réalité imaginée.

Avec La femme de Tchaïkovsky, Kirill Serebrennikov ne propose ni un biopic mélomane ni un plaidoyer féministe mais porte toutefois un regard singulier, rare sur les deux thématiques. D’une part à travers le regard d’Antonina, le spectateur découvre un Tchaïkovski humanisé, sensible voir cruel. En voulant s’écarter du malaise créer autour de la jeune femme, le spectateur se rapproche du compositeur et encaisse, juge à sa place l’obsession de Mme Tchaïkovski. D’autre part, nous sommes irrésistiblement sensibles à la condition d’Antonina qui est victime de la société et dont la personne peut être élevée au rang de symbole. Symbole de la condition des femmes russes au 19éme qui ne pouvaient s’accrocher qu’à leur foi et à leurs idéaux face à l’orthodoxie s’infiltrant jusqu’au cœur des familles à travers des concepts tels que l’honneur et la virginité. Dans le film, le personnage principal semble volontairement transgresser les « règles » notamment par l’adultère pour renforcer la conviction de son amour, comme pour démontrer la différence avec son idéal.

Yaël Verkindt 1ere05.

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